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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Raccourcis. Il y en a toujours, même dans une figure toute droite, les bras pendants. L’art des raccourcis ou de la perspective et le dessin sont tout un. Des écoles les ont évités, croyant vraiment n’en pas présenter parce qu’ils n’en avaient pas de violents. Dans une tête de profil, l’œil, le front, etc., sont en raccourci ; ainsi du reste.

Cadre, bordure. Ils peuvent influer en bien ou en mal sur l’effet du tableau. L’or prodigué de nos jours. — Leur forme par rapport au caractère du tableau.

Lumière, point lumineux ou luisant. Pourquoi le ton vrai de l’objet se trouve-t-il toujours à côté du point lumineux ? C’est que ce point ne se prononce que sur les parties frappées en plein par le jour, qui ne fuient point sous le jour. Dans une partie arrondie, il n’en est pas ainsi ; tout fuit sous le jour.

Vague (le). Il y a quelque chose d’Obermann sur le vague dans mes petits livres bleus. — L’église Saint-Jacques à Dieppe, le soir. — La peinture est plus vague[1] que la poésie, malgré sa forme arrêtée pour nos yeux. C’est un de ses plus grands charmes.

  1. « J’éprouve, et sans doute tous les gens sensibles éprouvent qu’en présence d’un beau tableau, on se sent le besoin d’aller loin de lui penser à l’impression qu’il a fait naître. Il se fait alors le travail inverse du littérateur : je le repasse, détail par détail, dans ma mémoire, et si j’en fais par écrit la description, je pourrais employer vingt pages à la description de ce que j’aurais pourtant embrassé tout entier en quelques instants. Le poème ne serait-il pas, par contre, un tableau dont on me montre chaque partie, l’une après l’autre ? Que ce soit un voile qu’il soulevé successivement. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 418, 419.)