Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Il faut dire aussi qu'à l'époque où la fresque fleurit de préférence, c’est-à-dire dans les premiers temps de la renaissance de l’art, la peinture n'était pas encore maîtresse de tous les moyens dont elle a disposé depuis. A partir des prodiges d’illusion dans la couleur et dans l’effet dont la peinture à l’huile a donné le secret, la fresque a été peu cultivée et presque entièrement abandonnée.

Je ne disconviens pas que le grand style, le style épique dans la peinture, si l’on peut ainsi parler, n’ait vu en même temps décroître son règne ; mais des génies tels que les Michel-Ange et les Raphaël sont rares. Ce moyen de la fresque qu’ils avaient illustré et dont ils avaient fait l’emploi aux plus sublimes conceptions, devait périr dans des mains moins hardies. Le génie d’ailleurs sait employer avec un égal succès les moyens les plus divers. La peinture à l’huile sous le pinceau de Rubens a égalé, pour le feu et la largeur, l’ampleur des fresques les plus célèbres, quoique avec des moyens différents ; et pour ne pas sortir de cette école vénitienne dont Titien est le flambeau, les grands tableaux de ce maître admirable, ceux de

    jours à Delacroix de n’avoir pas vu les maîtres vénitiens chez eux. Nous nous figurons aisément ce qu’eût été son enthousiasme s’il avait vu au Musée de Vérone l’admirable fresque de Paul Véronèse symbolisant la musique. Il avait d’ailleurs lui-même parfaitement conscience des lacunes de ses connaissances en ce qui touche les maîtres italiens, puisqu’il écrivait à Burty, avec une modestie vraiment admirable chez un homme de génie : « Qu’il ne voudrait rien publier avant d’avoir vu les maîtres italiens sur place, et que l'état de sa santé lui interdisait l’espérance d’un tel voyage. » (Corresp., t. II, p. 179.)