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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ché la borne dans tous les genres ; et pourtant dans le chemin de ces gens, on a vu des talents montrant quelque nouveauté. Ces talents, venus dans des époques de moins en moins favorables aux grandes tentatives, à la hardiesse, à la nouveauté, à la naïveté, ont rencontré des bonnes fortunes, si l’on veut, qui n’ont pas laissé de plaire à leur siècle moins favorisé, mais avide également de jouissances.

Dans cette heptarchie ou gouvernement de sept, le sceptre, le gouvernement se partage avec une certaine égalité, sauf le seul Titien qui, bien que faisant partie, etc., ne ferait qu’une manière de vice-roi dans ce gouvernement du beau domaine de la peinture. On peut le regarder comme le créateur du paysage. Il y a introduit cette largeur qu’il a mise dans le rendu des figures et des draperies.

On est confondu de la force, de la fécondité, de cette universalité[1] de ces hommes du seizième siècle. Nos petits tableaux misérables faits pour nos misérables habitations,… La disparition de ces Mécènes dont les palais étaient pendant une suite de générations l’asile

  1. Personne mieux que Taine n’a compris l’universalité de génie de ces hommes du seizième siècle. Dans son Voyage en Italie, et à propos des mêmes Vénitiens qu’il avait, lui le premier de tous les critiques français, su percer à jour, il écrit : « Partout les grands artistes sont les héros et les interprètes de leur peuple, Jordaëns, Grayer, Rubens en Flandre, Titien, Tintoret, Véronèse à Venise. Leur instinct et leur intuition les font naturalistes, psychologues, historiens, philosophes : ils repoussent l’idée qui constitue leur race et leur âge, et la sympathie universelle et involontaire qui fait leur génie rassemble et organise en leur esprit, avec les proportions véritables, les éléments infinis et entre-croisés du monde où ils sont compris. »