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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

paraissent les suivre partout comme leur oisiveté et leur incapacité de jouir. Les costumes, les usages variés, qu’ils allaient chercher au bout du monde, ils ne tarderont pas à les trouver semblables partout.

Déjà l’Ottoman qui se promenait en robe et en pantoufles sous un ciel toujours riant, s’est emprisonné dans les ignobles habits de la prétendue civilisation : ils ont des vêtements serrés, comme dans les pays où l’air libre est un ennemi dont il faut se garantir ; ils ont adopté ces couleurs monotones qui sont celles des peuples du Nord, qui vivent dans la boue et dans les frimas. Au lieu du spectacle du Bosphore riant sous le soleil et qu’ils contemplaient tranquillement, ils s’enferment dans de petites salles de spectacle pour y voir des vaudevilles français ; vous retrouvez ces vaudevilles, ces journaux, tout ce bruit pour rien, dans toutes les parties du monde, comme l'éternelle gare, avec ses cyclopes et ses sifflements sauvages.

On ne fera pas trois lieues sans cet accompagnement barbare : les champs, les montagnes en seront sillonnés : on se rencontrera comme se rencontrent les oiseaux, dans les plaines de l’air… Voir n’est plus rien : il faut arriver pour repartir ! On ira de la Bourse de Paris à celle de Saint-Pétersbourg ; les affaires réclameront tout le monde, quand il n’y aura plus de moissons à recueillir au moyen des bras, des champs à surveiller et à améliorer par des soins intelligents.