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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tamarre de ses roues… Don Quichotte eût mis sa lance en arrêt !

Laissez à la Hongrie les bœufs affligés de cornes, dont ils ne savent que faire !… A quoi bon dans nos plaines ces vaches descendues des Alpes de la Suisse ? ces bœufs avec cornes ou sans cornes, de climats et de constitutions divers, qui réclament une nourriture particulière et des soins ?…

Quant à ces légumes poussés à une humidité et une chaleur factices, laissez-les aux curieux d’Argenteuil pour les moules en carton, comme l’idéal de l’asperge et du navet, plus propre à étonner la vue qu'à réjouir l’appétit : tous ces petits parterres, venus là pour la circonstance, semblables à ces forêts que les enfants improvisent dans leurs jeux en plantant des blanches en terre.

Pauvres peuples abusés, vous ne trouvez pas le bonheur dans l’absence du travail ! Voyez ces oisifs condamnés à traîner le fardeau de leurs journées et qui ne savent que faire de ce temps que les machines leur abrègent encore. Voyager était autrefois une distraction pour eux ; se tirer de la torpeur de chaque jour, voir d’autres climats, d’autres mœurs, donnait le change à cet ennemi qui leur pèse et les poursuit. A présent, ils sont transportés avec une rapidité qui ne laisse rien voir ; ils comptent les étapes par les stations de chemin de fer qui se ressemblent toutes ; quand ils ont parcouru toute l’Europe, il semble qu’ils ne sont pas sortis de ces gares insipides qui