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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le plus simple bon sens eût suffi pour convaincre de l’inutilité de cette réunion, avant qu’on l’ait effectuée. La vue même de ces animaux si divers de forme et de propriétés suffira-t-elle pour convaincre de la folie qu’il y aurait à les transplanter, à les isoler des conditions dans lesquelles ils se sont développés et de l’influence du climat natal ? La nature a voulu qu’une vache fût petite en Bretagne et grande en Écosse. Était-il bien nécessaire d’assembler de si loin et dans un même lieu ces naïfs ?…

En entrant dans cette exposition de machines destinées à labourer, à ensemencer, à moissonner, je me suis cru dans un arsenal et au milieu de machines de guerre ; je me figure ainsi ces balistes, ces catapultes, instruments grossiers et hérissés de pointes de fer, ces chars armés de faux et de lames acérées ; ce sont là les engins de Mars et non de la blonde Cérès.

La complication de ces instruments effroyables contraste singulièrement avec l’innocence de la destination ; quoi ! cette effroyable machine armée de crocs et de pointes, hérissée de lames tranchantes, est destinée à donner à l’homme son pain de tous les jours ! La charrue, que je m'étonne de ne pas voir placée parmi les constellations, comme la lyre et le chariot, ne sera plus qu’un instrument tombé dans le mépris ! Le cheval aussi a fait son temps.

Ces petites machines à vapeur, avec leurs pistons, leur balancier, leur gueule enflammée, sont les chevaux de la future société. L’affreux et lugubre tin-