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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ne va pas à mon esprit. Sa métaphysique et ses recherches sur l'âme, la vie future, sont des plus singulières et donnent beaucoup à penser. Son Van Kirck parlant de l'âme, pendant le sommeil magnétique, est un morceau bizarre et profond qui fait rêver. Il y a de la monotonie dans la fable de toutes ses histoires ; ce n’est, à vrai dire, que cette lueur fantasmagorique dont il éclaire ces figures confuses, mais effrayantes, qui fait le charme de ce singulier et très original poète et philosophe.

6 juin. — J’ai été hier, en sortant de l’Hôtel de ville, voir la fameuse Exposition agricole. Toutes les têtes sont tournées ; on est dans l’admiration de toutes ces belles imaginations : machines à exploiter la terre, bêtes de tous les pays amenées à un concours fraternel de tous les peuples ; pas un petit bourgeois qui, sortant de là, ne se sache un gré infini d'être né dans un siècle si précieux.

J’ai éprouvé pour mon compte la plus grande tristesse au milieu de ce rendez-vous bizarre : ces pauvres animaux ne savent ce que leur veut cette foule stupide ; ils ne reconnaissent pas ces gardiens de hasard qu’on leur a donnés ; quant aux paysans qui ont accompagné leurs bêtes chéries, ils sont couchés près de leurs élèves, lançant sur les promeneurs désœuvrés des regards inquiets, attentifs à prévenir les insultes ou les agaceries impertinentes qui ne leur sont pas ménagées.