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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

en même temps qu’on offrira aux yeux de beaux tableaux pour en compléter l’impression[1].

On dit que Zeuxis ou un autre célèbre peintre dans l’antiquité avait exposé un tableau représentant un guerrier ou les horreurs de la guerre : il faisait jouer de la trompette derrière le tableau pour exalter encore davantage les bons spectateurs. On ne pourra plus faire une bataille sans brûler un peu de poudre aux environs, pour exciter complètement l'émotion ou mieux pour la réveiller.

Pour être plus près de la vérité, il y a déjà une vingtaine d’années, on avait été, sur la scène de l’Opéra, jusqu'à faire les décorations réelles comme dans l’opéra de la Juive[2] et dans celui de Gustave[3]. Dans le premier, on voyait de vraies statues sur la scène et autres accessoires qu’on imite ordinairement par la peinture ; dans Gustave, il y avait de vrais rochers, imités à la vérité, mais par des blocs saillants. Ainsi, par l’amour de l’illusion, on arrivait à la supprimer tout à fait. On conçoit que des colonnes ou des statues placées sur la scène dans la condition où on voit ordinairement les décorations et éclairées par des lumières venant de tous côtés perdent toute espèce

  1. Cette prédiction devait se réaliser trente années plus tard par les soins d’un peintre étranger expert en toutes réclames, et trop connu pour qu’il soit besoin de rappeler son nom.
  2. Cet opéra d’Halévy et de Scribe fut représenté le 23 février 1835.
  3. Gustave III, ou le Bal masqué, opéra en cinq actes, d’Auber, paroles de Scribe, représenté à l’Académie royale de musique le 27 février 1833. Au troisième acte, la scène se passait aux environs de Stockholm, dans un site sauvage, la nuit, au milieu de roches de formes sinistres.