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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tions frappantes, que par la route battue des esprits intelligents de tous les siècles.

8 avril. — Dîner chez la princesse, qui va partir.

9 avril. — Chez Mme d’Haussonville[1].

J’ai songé hier dans une course à Saint-Sulpice à faire quelque chose sur la marche nécessaire que suivent tous les arts, qui vont toujours se raffinant de plus en plus ; l’origine de cette idée vient de l’impression que m’ont faite hier chez la princesse les morceaux de Mozart que Gounod a passés en revue : mon impression a été confirmée ce soir chez Mme d’Haussonville, en entendant l’air des Nozze chanté par Mme Viardot. Bertin me disait de cette musique qu’elle est trop pleine de délicatesse et d’une expression portée aux dernières limites pour aller au public. Ce n’est pas cela qu’il faut dire : dans les époques comme les nôtres, le public arrive à cet amour du détail avec les ouvrages qui l’ont mis en goût de raffiner sur tout. Ce n’est pas, au contraire, dans notre temps, pour le public qu’il faut peindre à grands traits : ce serait bien plutôt pour les esprits infiniment rares qui s'élèvent au-dessus des intelligences communes, qui se nourrissent encore des beautés des grandes époques, en un mot qui aiment le beau, c’est-à-dire la simplicité.

  1. Madame d’Haussonville était fille du duc de Broglie. Son mari, le comte d’Haussonville, succéda en 1869 à M. Viennet à l’Académie française.