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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

jouiront d’un bonheur dont nous n’avons pas l’idée, mais auquel se mêlerait celui de voir, d’en haut, la justice que leur garde la postérité.

25 février. — Feuilleton admirable de Gautier[1] sur la mort de Heine, dans le Moniteur de ce jour.

Je lui écris : « Mon cher Gautier, votre oraison funèbre de Heine est un vrai chef-d'œuvre dont je ne puis m’empêcher de vous complimenter. Son impression me suit toujours, et il ira rejoindre ma collection d’excerptœ celebres. Eh quoi ! votre art, qui a tant de ressources que le nôtre n’a pas, est-il donc cependant, dans de certaines conditions, plus éphémère que la fragile peinture ? Que deviendront quatre pages charmantes écrites dans un feuilleton entre le catalogue des actions vertueuses des quatre-vingt-six départements et le narré d’un vaudeville d’avant-hier ? Pourquoi n’a-t-on pas averti quelques hommes zélés pour les vrais et grands talents ? Je ne savais pas même la mort de ce pauvre Heine : j’aurais voulu sentir devant cette bière qui emportait tant de feu et d’esprit ce que vous avez si bien senti. Je vous envoie ce petit hommage, moins pour les obligations que je vous ai d’ailleurs, que pour le plaisir triste et doux que j’ai eu à vous lire. Mille amitiés sincères. »

  1. Ce feuilleton de Th. Gautier sur H. Heine n’est autre que la très belle et très éloquente étude qui fut insérée dans la traduction des œuvres de H. Heine, et dans laquelle le critique avait fait mieux que dépasser la manière un peu étroite que lui reproche trop souvent Delacroix.