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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

les choses de l’esprit qu’il faut se tourner, quand le corps et les sens nous font défaut ? Il est du moins incontestable que c’est une compensation ; mais combien il faut veiller sur soi pour ne pas lâcher quelquefois la bride à ces recrudescences mensongères, qui nous font croire que nous pouvons être jeunes ou faire comme si nous l’étions ! Tel est le piège où tout va s’abîmer.

19 janvier. — Dîné chez Doucet[1]. Je suis revenu avec Dumas, qui m’a parlé de ses amours avec une vierge veuve d’un premier mari et avec un second en exercice.

Pendant qu’on jouait au baccarat chez Doucet, Augier, que j’aime beaucoup, me parlait de la dignité qu’il y a pour un artiste à ne pas chercher à gagner trop d’argent, et par conséquent la nécessité de ne pas le dépenser en objets de pure vanité. Il trouve qu’un artiste peut vivre dans un intérieur simple. Mme Doucet me disait qu’un dîner qui coûtait à des personnes dans une position modeste 3 ou 400 francs les privait d’avoir souvent, pour cinquante francs, trois ou quatre amis, avec la fortune du pot. Du reste, elle habite dans un petit entresol très bas de la rue du Bac, mais décoré avec tout le luxe et l’éclat modernes : dorures, damas, meubles inutiles, rien n’y manque.

  1. Camille Doucet, auteur dramatique, membre et secrétaire perpétuel de l’Académie française, né en 1812. Il était à cette époque (1856) chef de la division des théâtres au ministère d’État.