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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

motif de joie ou d’occupation intérieure pour n'être pas triste ; il est vrai que mon bonheur était extrême, quand l’imagination avait suffisamment d’aliment ; je suis actuellement plus tranquille, mais non plus froid.

Brouillard très intense.

On ne m’attendait pas : ma venue a fait plaisir. Les personnes que je trouve ne sont pas de nature à changer ma disposition paisible, mais peu récréée ; mais j’aime le lieu et le maître du lieu, dont l’esprit profond me plaît et m’instruit, particulièrement dans la science de la vie, quoiqu’il soit loin de professer quoi que ce soit ; son exemple suffit.

Qu’ai-je fait depuis un mois ? Je me suis occupé de ce jury ; j’ai vu assez de platitudes et j’ai subi quelques entraînements de complaisance pour quelques pauvres diables. Se rappeler la grande chaleur de Français qui, ayant voté pour lui tout le temps, pour la première médaille, se réveille indigné de ce qu’on avait oublié M. Corot[1], quand il ne se trouvait plus de place pour lui ; Dauzats et moi avions, par une sorte de souvenir, voté pour lui, et nous avions été les seuls.

M. de la Ferronnays me dit, à propos du danger

  1. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque, Corot (1795-1875) était encore fort contesté. Delacroix parvenu à la grande célébrité, et à ailleurs admirateur convaincu du talent du paysagiste, songeait sans doute avec quelque mélancolie que c'était là l’inévitable sort des originalités tranchées.
    Corot avait envoyé à l’Exposition universelle de 1855 cinq tableaux, parmi lesquels le Bain de Diane, aujourd’hui au Musée de Bordeaux.