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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

10 octobre. — La mer belle ; le vent d’ouest nous donne de belles vagues. Journée passée en partie à la jetée et, du reste, je ne sais trop comment.

Ces beaux loisirs finiraient par amener le terrible ennui et avec lui le désir de se renouveler en allant retrouver les pinceaux et les toiles auxquelles je pense souvent. Il me les faudrait ici.

Je pense plus que je ne faisais encore l’année dernière, en voyant à chaque instant ces scènes de mer, ces navires, ces hommes si intéressants, qu’on n’a pas tiré de tout cela l’intérêt que cela comporte. Le vaisseau lui-même ne joue pas un assez grand rôle chez les faiseurs de marine : j’en voudrais faire les héros de la scène ; je les adore ; ils me donnent des idées de force, de grâce, de pittoresque ; plus ils sont en désordre, plus je les trouve beaux. Les peintres de marine les font tellement quellement : les proportions observées, la position des agrès une fois conforme aux principes de la navigation, il leur semble que leur besogne soit faite ; ils font le reste les yeux fermés, et comme les architectes indiquent dans un plan leurs colonnes et leurs principaux ornements. C’est l’exactitude pour l’imagination, que je demande ; leurs cordages sont des lignes tracées à la hâte et de pratique : ils sont là pour mémoire et semblent ne pouvoir servir à rien ; la couleur et la forme doivent concourir à l’effet que je demande ; mon exactitude consisterait, au contraire, à n’indiquer fortement que les objets principaux, mais dans leur rapport d’action