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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

œuvres ; je les quitte pour aller à la Maison de l'œuvre.

Les naïfs me captivent de plus en plus ; je remarque dans des têtes, telles que le vieillard à longue barbe et en longue draperie, dans les têtes de deux statues un peu colossales d’un abbé et d’un roi, qui sont dans la cour, combien ils ont connu le procédé antique. Je les dessine à la manière de nos médailles d’après l’antique, par les plans seulement. Il me semble que l'étude de ces modèles d’une époque réputée barbare, par moi tout le premier, et remplie pourtant de tout ce qui fait remarquer les beaux ouvrages, m'ôte mes dernières chaînes, me confirme dans l’opinion que le beau est partout, et que chaque homme non seulement le voit, mais doit absolument le rendre à sa manière.

Où sont ces types grecs, cette régularité dont on s’est habitué à faire le type invariable du beau ? Les têtes de ces hommes et de ces femmes sont celles qu’ils avaient sous les yeux. Dira-t-on que le mouvement qui nous porte à aimer une femme qui nous plaît ne participe nullement de celui qui nous fait admirer la beauté dans les arts ? Si nous sommes faits pour trouver dans cette créature qui nous charme le genre d’attrait propre à nous captiver, comment expliquer que ces mêmes traits, ces mêmes grâces particulières pourront nous laisser froids, quand nous les trouverons exprimés dans des tableaux ou des statues ? Dira-t-on que, ne pouvant nous empêcher