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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

fait, en quelque sorte, qu’enter un arbre sur un arbre d’une espèce différente. Il y a de robustes tempéraments d’artistes qui absorbent tout, qui profitent de tout ; bien qu’élevés dans des manières que leur nature ne leur eût pas inspirées, ils retrouvent leur route à travers les préceptes et les exemples contraires, profitent de ce qui est bon, et, quoique marqués quelquefois d’une certaine empreinte d’école, deviennent des Rubens, des Titien, des Raphaël, etc.

Il faut absolument que, dans un moment quelconque de leur carrière, ils arrivent, non pas à mépriser tout ce qui n’est pas eux, mais à dépouiller complètement ce fanatisme presque toujours aveugle, qui nous pousse tous à l’imitation des grands maîtres et à ne jurer que par leurs ouvrages. Il faut se dire : cela est bon pour Rubens, ceci pour Raphaël, Titien ou Michel-Ange. Ce qu’ils ont fait les regarde ; rien ne m’enchaîne à celui-ci ou à celui-là.

Il faut apprendre à se savoir gré de ce qu’on a trouvé ; une poignée d’inspiration naïve est préférable à tout. Molière, dit-on, ferma un jour Plaute et Térence ; il dit à ses amis : « J’ai assez de ces modèles : je regarde à présent en moi et autour de moi. »

1er octobre. — Nous allons, le cousin, la cousine et moi, voir le bon Schüler ; je le remercie de ses gravures ; nous y allons surtout pour voir le petit portrait qu’il a fait du cousin, pour mettre en tête de ses