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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

chambre, mais qui sont d’une époque antérieure.

Ce soir, après dîner, mais de jour, promenade dans le petit jardin avec la bonne cousine : elle appréhende, la pauvre femme, la solitude des dernières années.

30 septembre. — Retourné, malgré le dimanche, à la Maison d'œuvre. Nous avions été auparavant faire je ne sais quelle course avec la bonne cousine ; elle ne veut s’en aller qu’après m’avoir vu entrer. Je me jette sur les figures d’anges des treizième et quatorzième siècles : les vierges folles, les bas-reliefs d’une proportion encore sauvage, mais pleins de grâce ou de force.

J’ai été frappé de la force du sentiment : la science lui est presque toujours fatale ; l’adresse de la main seulement, une connaissance plus avancée de l’anatomie ou des proportions livre à l’instant l’artiste à une trop grande liberté ; il ne réfléchit plus aussi purement l’image, les moyens de rendre avec facilité ou en abrégé le séduisant et l’entraînant à la manière. Les écoles n’enseignent guère autre chose : quel maître peut communiquer son sentiment personnel[1] ? On ne peut lui prendre que ses recettes ; la pente de l'élève à s’approprier promptement cette facilité d’exécution, qui est chez l’homme de talent le résultat de l’expérience, dénature la vocation et ne

  1. Voir sur ce point notre étude, pages 32, 33, 34. C’est là une des idées les plus chères à Delacroix et les plus significatives de son esthétique.