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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

journée à la Maison d’œuvre de la cathédrale, à dessiner[1]. (Je regrette de n'écrire mes impressions qu’ici, à Dieppe, dix à douze jours après : j’ai été très happé de ce que j’ai vu là. J’aurais voulu tout dessiner.)

Le premier jour, j’ai été attiré par les ouvrages du quinzième siècle et du commencement de la renaissance des arts ; les statues un peu roides, un peu gothiques de l'époque antérieure ne m’attiraient pas ; je leur ai rendu justice le lendemain et le jour suivant, car j’y ai dessiné trois jours avec ardeur, au milieu des interruptions du froid et de l’incommodité du lieu par le défaut de lumière ou la difficulté de me placer. Je dessine sous la prétendue statue d’Erwin[2], car Erwin est partout ici, comme Rubens est à Anvers, comme César partout où il y a une enceinte en gazon ressemblant à un camp. La tête, les mains superbes, mais les draperies déjà chiffonnées et faites de pratique. De même pour la statue en face de l’homme en manteau fendu sur l'épaule qui met sa main sur les yeux, la tête levée en l’air. Plus naïves, les figures de l’homme en robe et en chaperon, agenouillé, du vieux juge assis dans l’antichambre, et des figures des soldats malheureusement mutilés et couverts d’armures qui sont également dans l'anti-

  1. Voir Catalogue Robaut, nos 1399 à 1402 et 1912.
  2. Erwin de Steinbach (1240-1318), architecte et sculpteur allemand, construisit la façade ouest de la cathédrale de Strasbourg et prépara les plans de décoration intérieure de la nef. Il mourut laissant son travail inachevé ; mais son fils Jean acheva son œuvre d’après des dessins qui sont encore conservés à Strasbourg.