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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

pitoyablement et à leur fantaisie des morceaux de hasard, en un mot ce qu’ils dédaignent de se conserver pour eux-mêmes. Tout cela est trouvé charmant ; adieu la cordialité, adieu l’aimable occupation de faire un bon dîner ! Vous vous levez repu tant bien que mal, et vous regrettez votre dîner de garçon du coin de feu. Cette pauvre femme s’est jetée dans une habitude mondaine qui lui donne exclusivement comme société les gens les plus futiles et les plus ennuyeux.

Je me suis sauvé en évitant la musique pour aller chez mon confrère en municipalité Didot[1]. La promenade pour aller chez lui par un froid sec m’a réussi un peu. En arrivant, cohue, musique encore plus détestable, mauvais tableaux accrochés aux murs, excepté un, cet homme nu d’Albert Dürer, qui m’a attiré toute la soirée.

Cette trouvaille inespérée, le chant de Delsarte, la veille chez Bertin, m’ont fait faire cette réflexion qu’il y a beaucoup de fruit à retirer du monde, tout fatigant qu’il est et tout futile qu’il paraît. Je n’aurais eu aucune fatigue, si j’étais resté au coin de mon feu ; mais je n’aurais eu aucune de ces souffrances mi doublent peut-être, par le rapprochement de la trivialité et de la banalité, des plaisirs que le vulgaire va chercher dans les salons.

  1. Il s’agit ici d’Ambroise Firmin-Didot, de la célèbre maison des éditeurs Didot, qui fut éditeur, écrivain, et fit partie du conseil municipal, où il eut un rôle assez important.