Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tune : lui, au contraire, dans ses plus grands écarts, ne les manque jamais. Figure superbe ; force et vérité ; l’acolyte couronné de feuillage, qui soutient Achille au moment où il succombe et s’affaisse en se tournant vers son meurtrier avec des regrets qui semblent dire : « Comment as-tu osé détruire Achille ? » Il y a même quelque chose de tendre dans ce regard, dont l’intention peut aller jusqu’à Apollon, qui se tient implacable au-dessus de Pâris et, presque collé à lui, lui indique avec fureur où il faut frapper. Le Vulcain est une des figures les plus complètes et les plus achevées : la tête est bien celle du dieu ; l’épaisseur de ce corps est prodigieuse.

Le Cyclope qui apporte l’enclume et ses deux compagnons qui battent sur l’enclume, le Triton qui reçoit d’un enfant ailé le casque redoutable chefs-d’œuvre d’imagination et de composition !

Le parti pris et certaines formes outrées montrent que Rubens[1] était dans la situation d’un artisan qui exécute le métier qu’il sait, sans chercher à l’infini des perfectionnements.

Il faisait avec ce qu’il savait, et par conséquent sans gêne pour sa pensée. L’habit qu’il donne à ses pen-

  1. Voir ce que nous avons dit dans notre Étude sur la constante et inébranlable admiration de Delacroix pour le génie de Rubens. Dans sa lettre sur les concours dont nous parlons plus haut, Delacroix écrivait : « Une idée ridicule s’offre à moi. Je me figure le grand Rubens étendu sur le lit de fer d’un concours. Je me le figure se rapetissant dans le cadre d’un programme qui l’étouffé, retranchant des formes gigantesques, de belles exagérations, tout le luxe de sa manière. »