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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

plexion si tendre ; cette tête où se lisent l’onction et la sympathie pour les misères humaines. En faisant ses Christs, il a plus pensé à Jupiter, même à Apollon. La Vierge lui a manqué également ; il n’a rien entrevu de ce personnage plein de divinité et de mystère. Il n’intéresse à son enfant Jésus ni les hommes épris de sa grâce, ni les animaux que l’Évangile intéresse à la venue de l’enfant divin. Le bœuf et l’âne manquent autour de la crèche du Dieu qui vient de naître sur la même paille où ils reposent… ; la rusticité des bergers qui viennent l’adorer est un peu relevée par un souvenir des figures antiques… ; les rois mages ont un peu de la raideur et de l’économie de draperies et d’accoutrements qu’on remarque dans les statues ; je ne trouve pas ces manteaux de soie ou de velours couverts de pierreries portés par des esclaves, et qu’ils traînent dans cette étable aux pieds du Maître de la nature qu’un pouvoir surnaturel leur vient révéler. Où sont ces dromadaires, ces encensoirs, toute cette pompe ? Admirable contraste dans un humble réduit !

Je suis convaincu que Lesueur n’avait pas cette méthode du Poussin de disposer l’effet de ses tableaux au moyen de petites maquettes éclairées par le jour de l’atelier. Cette prétendue conscience donne aux tableaux du Poussin une sécheresse extrême… Il semble que toutes ses figures sont sans lien les unes avec les autres et semblent découpées ; de là ces lacunes et cette absence d’unité, de fondu, d’effet, qui se trouve dans Lesueur et dans tous les coloristes. Ra-