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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Si nous avions à parler ici en termes d’école du développement de la musique de piano, nous disséquerions ces magnifiques pages qui offrent une si riche glane d’observations ; nous explorerions, en première ligne, ces nocturnes, ballades, impromptus, scherzos, qui tous sont pleins de raffinements harmoniques aussi inattendus qu’inentendus ; nous les rechercherions également dans ses polonaises, mazurkas, valses, boléros… Mais ce n’est ni l’instant ni le lieu d’un travail pareil, qui n’offrirait d’intérêt qu’aux adeptes.

C’est par le sentiment qui déborde de toutes ces œuvres qu’elles se sont répandues et popularisées ; sentiment éminemment romantique, individuel, propre à leur auteur et néanmoins sympathique non seulement au pays qui lui doit une illustration de plus, mais à tous ceux que purent jamais toucher les infortunes de l’exil et les attendrissements de l’amour.

Ne se contentant pas toujours des cadres où il était libre de dessiner les contours si heureusement choisis par lui, Chopin voulut aussi enclaver sa pensée dans les classiques barrières. Il a écrit de beaux concertos et de belles sonates : toutefois il n’est pas difficile de distinguer dans ces productions plus de volonté que d’inspiration. La sienne était impérieuse, fantasque, irréfléchie. Ses allures ne pouvaient être que libres, et nous croyons qu’il a violenté son génie chaque fois qu’il a cherché à l’astreindre aux règles, aux classifications, à une ordonnance qui n’était pas la sienne