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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

triomphe à ses sonnets, et de ceux qui ont le plus répété leurs suaves rimes, en est-il beaucoup qui connaissent l’existence de son poème sur l’Afrique ? Or, on ne saurait s’appliquer à faire une analyse intelligente des travaux de Chopin sans y trouver des beautés d’un ordre très élevé, d’une expression parfaitement neuve et d’une contexture harmonique aussi originale qu’accomplie. Chez lui la hardiesse se justifie toujours, la richesse, l’exubérance même n’excluent pas la clarté ; la singularité ne dégénère pas en bizarrerie baroque ; les ciselures ne sont pas désordonnées, et le luxe de l’ornementation ne surcharge pas l’élégance des lignes principales. Les meilleurs ouvrages abondent en combinaisons qui, on peut le dire, forment époque dans le maniement du style musical. Osées, brillantes, séduisantes, elles déguisent leur profondeur sous tant de grâce, et leur habileté sous tant de charme, que ce n’est qu’avec peine qu’on peut se soustraire à ce charme entraînant pour les juger à froid sous le point de vue de leur valeur théorique ; valeur qui a déjà été sentie, mais qui se fera de plus en plus reconnaître, lorsque le temps sera venu d’un examen attentif des services rendus à l’art, durant la période que Chopin a traversée.

C’est à lui que nous devons cette extension des accords, soit plaqués, soit en arpèges, soit en batteries ; ces sinuosités chromatiques et enharmoniques dont ses études offrent de si frappants exemples ; ces