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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tainebleau. Il était seul, et, entrant dans une espèce de cabaret, il s’attable et demande qu’on lui fasse venir le bon drille de l’endroit pour causer avec lui. On lui amène un homme nommé Gaillard, que le Roi fait asseoir en face de lui. « Quelle est la différence d’un gaillard à un paillard ? » lui dit-il. « M’est avis, dit l’autre, qu’il y a entre eux la largeur de cette table. »

Il écrit à M. de X***, qui avait perdu un œil dans une bataille à côté de lui : « Borgne, nous nous battons après-demain ; trouve-toi à tel endroit avec ta compagnie, et gare les Quinze-Vingts ! »

L’anecdote de Napoléon allant au mariage de Maret[1] à Saint-Cloud ou à Versailles. Il avait Talleyrand dans sa voiture ; il lui dit que sa jeunesse avait fini à Saint-Jean d’Acre ; il voulait dire, sans doute, sa confiance en son étoile. Les Anglais, disait-il, l’avaient arrêté là, comme il était en train d’aller à Constantinople. « Au reste, dit-il, ce qu’on m’a empêché défaire par le Midi, peut-être un jour le ferai-je par le Nord. » Talleyrand, surpris, écrivait quelques jours après à une vieille femme de l’ancien régime très connue : « Je ne sais si cet homme est fou (c’était encore au commencement du consulat) ; voilà ce qu’il m’a dit l’autre jour. »

Cette lettre tomba plus tard dans les mains de Pozzo ; c’était au moment de la campagne de 1812. Pozzo, qui allait partout cherchant des ennemis à

  1. Maret, qui reçut plus tard le titre de duc de Bassano, était alors secrétaire général du Premier Consul.