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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

et je disais qu’elle dégénérait. Berryer citait à ce propos la préface de Carême attestant, de cette décadence qu’il déplore, les mânes de l’immortel Lavoypiere son maître. Cet illustre artiste avait été choisi par Murat, pour le suivre à Naples, quand il fut fait roi. Le grand Lavoypiere se récria sur la barbarie du pays où il arrivait : « On me donne deux batteries, grands dieux ! deux batteries pour faire la cuisine d’un roi ! »

J’ai oublié de mentionner que l’illustre Dugas, l’homme aux pâtés d’Amiens, avait cru devoir emporter dans la tombe le secret de ses doses. Il en avait déshérité ses fils : ceci est le trait de caractère de l’artiste, de l’homme inspiré. Le grand Dugas eût tué ses disciples ignorants, de peur de voir compromettre la réputation des produits auxquels son nom avait donné la célébrité.

Il nous conte l’histoire de ce garçon menuisier, qui allait travailler chez X…, lequel était très habile sur le violon. Cet homme enthousiasmé ne se lassait pas de l’entendre et lui montrait le désir d’en apprendre autant. L’artiste le fait venir à ses moments perdus, le dimanche, quand il peut, et lui fait faire des exercices. Au bout d’un certain temps le menuisier, trouvant l’apprentissage un peu long, lui dit : « Monsieur, je ne suis qu’un pauvre homme, et ne puis mettre à cela autant de temps qu’un monsieur tel que vous. Soyez assez bon pour m’apprendre tout de suite le mot fin. »