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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

cela une analogie avec lui. Vous resterez une journée à contempler un bras de Puget, et ce bras fait partie d’une statue médiocre en somme. Quelle est la raison secrète de ce genre d’admiration ? C’est ce que je ne me charge pas d’expliquer.

Nous avons parlé des règles de la composition. Je lui ai dit qu’une absolue vérité pouvait donner l’impression contraire à la vérité, au moins à cette vérité relative que l’art doit se proposer ; et en y pensant bien, l’exagération qui fait ressortir à propos les parties importantes et qui doivent frapper est toute logique ; il faut, là, conduire l’esprit. Dans le sujet de Mirabeau[1] à la protestation de Versailles, je lui ai dit que Mirabeau et l’Assemblée devaient être d’un côté et l’envoyé du Roi tout seul de l’autre. Son dessin, qui montre des groupes agencés et balancés, des poses variées, des hommes causant entre eux d’une manière naturelle et comme il a pu arriver dans cette circonstance, est bien disposé pour l’œil et suivant les règles matérielles de la composition ; mais l’esprit n’y voit nullement l’Assemblée nationale protestant contre l’injonction de M. de Brézé. Cette émo-

  1. En 1831, le gouvernement de Juillet avait mis au concours : Mirabeau répondant au marquis de Dreux-Brézé. Delacroix et Chenavard exécutèrent chacun une composition sur ce sujet. L’œuvre de Delacroix a figuré à l’Exposition universelle de 1889. A propos de cette toile, H. de la Madelène écrivait : « Comme les poètes, Delacroix devine. On ne peut même concevoir que les choses aient pu se passer autrement qu’il ne les a peintes. Le marquis de Dreux-Brézé, signifiant aux gens du tiers la volonté du Roi, n’a pu avoir une autre attitude que celle que l’artiste lui prête en face de la foudroyante apostrophe de Mirabeau. » (Voir Catalogue Robaut, no 360.)