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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

fectation. Les qualités du peintre sont portées chez lui au plus haut point : ce qu’il fait est fait ; les yeux regardent et sont animés du feu de la vie. La vie et la raison sont partout. Rubens est tout autre avec un tout autre tour d’imagination, mais il peint véritablement des hommes. Ils ne sont tous deux hors de mesure que quand ils imitent Michel-Ange et qu’ils veulent se donner un prétendu grandiose qui n’est que de l’enflure et dans laquelle les vraies qualités se noient ordinairement.

La prétention de Chenavard pour son cher Michel-Ange est qu’il a peint l’homme avant tout, et je dis qu’il n’a peint que des muscles, des poses dans lesquelles même la science, contre l’opinion commune, ne domine nullement. Le dernier des antiques est infiniment plus savant que tout l’œuvre de Michel-Ange. Il n’a connu aucun des sentiments, aucune des passions de l’homme. Il semble qu’en faisant un bras et une jambe, il ne pense qu’à ce bras et à cette jambe, pas le moins du monde à son rapport, je ne dirai pas seulement avec l’action du tableau, mais avec celle du personnage auquel il fait le membre…

Il faut convenir que certains morceaux traités ainsi et avec cette prédilection exclusive sont faits pour passionner à eux seuls. C’est là son grand mérite : il met du grand et du terrible même dans un membre isolé. Puget[1], avec un caractère différent, a en

  1. Voir l’étude sur Puget que nous avons déjà indiquée, et la Correspondance, t. I, p. 201, et t. II, p. 254.