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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

qu’entraînent les embarras d’argent. Il faut beaucoup de prudence pour arriver à cet état nécessaire et pour s’y maintenir ; il faut avoir sans cesse devant les yeux la nécessité de ce calme, de cette absence des soucis matériels, qui permet d’être tout entier à des tentatives élevées, et qui empêche l’âme et l’esprit de se dégrader.

Ces réflexions résultent de ma conversation de ce soir avec ***, qui est venu me voir après mon dîner, et de ce qu’il m’a rapporté de la situation des Pierret. La sienne ne me paraît pas, dans l’avenir et peut-être maintenant, beaucoup meilleure. Il a été un fou toute sa vie ; il y a un fonds de bon sens dans son esprit, et il en a toujours manqué dans sa conduite.

Ce bon sens si rare me sert de transition pour parler de ma visite de ce matin à Chenavard. En voilà encore un qui est ou qui semble rempli de sens, quand il parle, quand il démontre, quand il compare ou qu’il déduit. Ses compositions d’une part, et ses prédilections de l’autre, donnent un démenti à cette sagesse. Il aime Michel-Ange, il aime Rousseau : ces talents et quelques autres très imposants sont de ceux qui sont surtout très admirés des jeunes gens. Les hommes à la Racine, à la Voltaire, sont admirés des esprits mûrs, et le sont toujours davantage.

Je ne peux attribuer cette différence dans l’estime qu’on en fait à différents âges, qu’au défaut de raison qu’on remarque chez ces auteurs boursouflés, à côté de leurs grandes qualités. Il y a chez Rousseau quel-