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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Il s’en faut beaucoup que l’homme reçoive intact le dépôt des connaissances que les siècles voient s’accumuler ; s’il perfectionne certaines inventions, pour d’autres, il reste fort en arrière des inventeurs ; un grand nombre de ces inventions sont perdues. Ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre.

Je n’ai pas besoin de faire remarquer combien certains perfectionnements prétendus ont nui à la moralité ou même au bien-être. Telle invention, en supprimant ou en diminuant le travail et l’effort, a diminué la dose de patience à endurer les maux et l’énergie pour les surmonter qu’il est donné à notre nature de déployer. Tel autre perfectionnement, en augmentant le luxe et un bien-être apparent, a exercé une influence funeste sur la santé des générations, sur leur valeur physique, et a entraîné également une décadence morale. L’homme emprunte à la nature des poisons, tels que le tabac et l’opium, pour s’en faire des instruments de grossiers plaisirs. Il en est puni par la perte de son énergie et par l’abrutissement. Des nations entières sont devenues des espèces d’ilotes par l’usage immodéré de ces stimulants et par celui des liqueurs fortes.

Arrivées à un certain degré de civilisation, les nations voient s’affaiblir surtout les notions de vertu et de valeur. L’amollissement général, qui est probablement le produit du progrès des jouissances, entraîne une décadence rapide, l’oubli de ce qui était la tradition conservatrice, le point d’honneur natio-