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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

aimé ; on lui reproche son excessive sévérité pour les autres, en le voyant donner peu de preuves de talent et d’activité. Cette défiance, ce découragement qu’il confesse, me paraissent, comme à lui, la cause de son peu de succès : il est le premier à abandonner sa cause. Comment intéresserait-il au même degré que des esprits doués aussi d’élévation, mais en même temps de l’énergie qu’on puise dans le désir et l’assurance d’arriver au premier rang ? Il ne trouve pas que Géricault soit un maître ; il lui trouve quelque chose de noué. C’est un jeune homme très brillant, et il ne croit pas qu’il eût été rien de plus. Il donne de bonnes raisons tirées de l’insignifiance comme tableau, de la prédominance de la pose, du détail, quoique traité avec force.

(Je relis ce qui concerne ici Géricault[1], six mois après, c’est-à-dire le 24 mars 1855, pendant l’état de langueur où je me trouve avant l’Exposition ; hier, j’ai revu des lithographies de Géricault, chevaux, lion même, etc., tout cela est froid, malgré la supériorité avec laquelle les détails sont traités ; mais il n’y a jamais d’ensemble en rien. Il n’y a pas un de ces chevaux qui n’ait des parties qui grimacent, ou trop petites ou mal attachées ; jamais un fond qui ait le moindre rapport avec le sujet.)

Je rencontre avant dîner Mme Manceau, qui

  1. Il est particulièrement intéressant de rapprocher ce passage sur Géricault des précédentes appréciations de Delacroix.