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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

du navire[1] qui est sous la fenêtre. L’esprit rafraîchi par le travail communique à tout l’être un sentiment de bonheur.

C’est dans cette disposition que j’ai été à la jetée et ensuite revenu par le bord de la mer et été au cours Bourbon pour mon dîner avec Chenavard. J’ai cru que nous ferions un bon dîner d’abord, et ensuite que ce dîner serait gai. Le dîner a été détestable, et les lugubres prédictions de mon convive n’en ont pas égayé la durée.

Je crois que la fatalité qui entraîne, selon lui, les choses, s’attache aussi à la possibilité d’une liaison entre nous. Un jour, je suis porté vers lui… le lendemain, ses côtés antipathiques me reviennent. Il me parle des malheurs domestiques de ce pauvre fou de Boissard. Il me dit que Leibnitz ne quittait pas sa table de travail, et souvent dormait et mangeait sans quitter sa chaise. Il m’apprend, contre l’opinion générale, que Fénelon écrivait avec une facilité merveilleuse, et que le Télémaque a été fait en trois mois. Il compare Rousseau à Rembrandt, comparaison qui ne me paraît pas juste.

Je le quitte à dix heures au Puits salé et vais jusqu’à la jetée pour secouer un peu cette obsession. Je vois

  1. Ces dessins sont indiqués dans le Catalogue Robaut à l’année 1854. M. Robaut relève à côté des croquis les mots suivants : « Mer tranquille, vue de face, semblable aux sillons des champs, lorsqu’on a coupé l’herbe et qu’on l’a posée sur le dos des sillons. Le ton de la demi-teinte de la mer, jaune transparent verdâtre, comme de l’huile ; taches bleuâtres comme de l’étain avec l’aspect métallique et luisant. C’est la