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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

6 septembre. — Le matin, abandonné la jetée pour monter à gauche derrière le château ; suivi jusqu’au cimetière ; auparavant, délicieuse sensation au haut du ravin qu’on avait franchi l’autre jour ; petit sentier remontant de l’autre côté, éclairé par les rayons du matin et s’enfonçant sous l’ombre des hêtres. Entré dans le cimetière, moins repoussant que l’affreux Père-Lachaise, moins niais, moins compassé, moins bourgeois… Tombes oubliées entières sous l’herbe, touffes de rosiers et de clématites embaumant l’air dans ce séjour de la mort ; du reste, solitude parfaite, dernière conformité avec l’objet du lieu et la fin nécessaire de ce qui s’y trouve, c’est-à-dire le silence et l’oubli.

Trouvé, en traversant une grande route, une autre route couverte à la normande, allant à Louval, je crois, qui m’a enchanté : cours de fermes, murailles de simple terre à droite et à gauche, surmontées d’arbres d’un vert sombre et vigoureux. Fleurs, légumes, bétail, dans ces joyeuses retraites ; enfin, tout ce qui charme dans la nature et dans ce qui fait l’homme. Retour moins agréable, grande route poudreuse.

Après le déjeuner, Chenavard venu ; je l’ai emmené voir appareiller le Mariani[1]. Il me dit, ce qui est

  1. Delacroix, dans ses promenades quotidiennes à la jetée de Dieppe, étudiait sans relâche la mâture, les poulies, les cordages des navires. L’idée lui vint de mettre à profit ces observations dans un tableau où la mer jouerait un rôle. Il s’en ouvrit à Chenavard : « Tout cela, disait-il,