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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Je suis rentré par le plus beau clair de lune, en faisant le tour des bassins. Observé beaucoup le gréement des navires.

2 septembre. — Les savants[1] ne font autre chose, après tout, que trouver dans la nature ce qui y est. La personnalité du savant est absente de son œuvre ; il en est tout autrement de l’artiste. C’est le cachet qu’il imprime à son ouvrage qui en fait une œuvre d’artiste, c’est-à-dire d’inventeur. Le savant découvre les éléments des choses, si on veut, et l’artiste, avec des éléments sans valeur là où ils sont, compose, invente un tout, crée, en un mot ; il frappe l’imagination des hommes par le spectacle de ses créations, et d’une manière particulière. Il résume, il rend claires pour le commun des hommes qui ne voit et ne sent que vaguement en présence de la nature, les sensations que les choses éveillent en nous.

3 septembre. — Le matin de bonne heure, à la jetée pour voir sortir les bateaux. Je reprends mon chemin pour aller revoir la vue de derrière le château. Je rencontre Chenavard près des bains et reste avec lui au soleil, sur la plage, pendant trois ou quatre heures.

  1. La partialité et l’injustice de Delacroix à l’égard des savants se sont déjà manifestées à maintes reprises dans le Journal : la chose est d’autant plus surprenante que nous nous étions habitués à envisager les idées générales du maître comme supérieures à celles que nous trouvons exprimées ici. (Voir sur ce point la Vie de M. Frédéric-Thomas Graindorge, de H. Taine.)