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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

la plage et le long des rues. Il m’a parlé de la difficulté que Michel-Ange avait souvent à travailler, et il m’a cité ce mot de lui : Benedetto Varchi[1] lui dit : « Signor Buonarotti, avete il cervello di Giove » ; il aurait répondu : « Si vuole il martello di Vulcano per farne uscire qualche cosa. » Il avait brûlé, à une certaine époque, une grande quantité d’études et de croquis, pour ne pas laisser de traces de la peine que lui avaient donnée ses ouvrages qu’il retournait de mille manières, comme un homme qui fait des vers. Il sculptait souvent d’après des dessins ; sa sculpture témoigne de ce procédé. Il disait que la bonne sculpture était celle qui ne ressemblait pas à la peinture, et que la bonne peinture, au contraire, était celle qui ressemblait à de la sculpture.

— C’est aujourd’hui que Chenavard m’a reparlé de son fameux système de décadence. Il tranche trop absolument. Il lui manque aussi d’estimer à leur juste valeur toutes les qualités estimables. Bien qu’il dise que les gens d’il y a deux cents ans ne valent pas ceux d’il y a trois cents ans, et que ceux d’aujourd’hui ne valent pas ceux d’il y a cinquante ou cent ans, je crois que Gros, David, Prud’hon, Géricault, Charlet sont des hommes admirables comme les Titien et les Raphaël ; je crois aussi que j’ai fait de certains morceaux qui ne seraient pas méprisés de ces messieurs, et que j’ai eu de certaines inventions qu’ils n’ont pas eues.

  1. Benedetto Varchi (1502-1562), historien et poète florentin, auteur d’une histoire des révolutions de Florence.