Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

nière mode, contraste avec les grosses bottes des pêcheurs du Pollet et les robes courtes des Normandes, qui ne manquent pas d’un certain charme, malgré leurs coiffures, qui ressemblent à des bonnets de coton.

Je fais une cuisine excellente. J’ai trouvé dans mon logement un fourneau dans le genre du vôtre, et j’ai pris une passion pour tout ce qui sort de ce fourneau. Quant au poisson et aux huîtres, aux tourteaux et aux homards, ils sont incomparables. Vous ne mangez à Paris que le rebut en comparaison. Je me vautre, comme vous le voyez, dans la matière ; il n’est point jusqu’au cidre que je ne trouve excellent. Je bâille quelquefois de n’avoir rien à faire de suivi. Les petits dessins que je fais principalement ne suffisent point pour m’occuper l’esprit[1] ; alors je reprends mon roman, ou je vais à la jetée voir entrer et sortir les bateaux.

Voilà la vie que je vais mener encore quelque temps ; je ferai sans doute quelques excursions aux environs, mais mon quartier général sera toujours sur le quai Duquesne. Il faut conjurer comme on peut les fantômes de cette diable de vie qu’on nous a donnée, je ne sais pourquoi, et qui devient amère si facilement, quand on ne présente pas à l’ennui et aux ennuis un front d’acier. Il faut agiter, en un mot, ce corps et cet esprit, qui se rongent l’un l’autre dans la
  1. Voir Catalogue Robaut, no 1268, un croquis pris par Delacroix de sa fenêtre, à Dieppe.