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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

à la vérité d’une main avare, mais présentant aussi quelque chose de plus certain ; c’est comme ces arbres qui croissent dans de maigres terrains où ils poussent lentement et difficilement, et dont les branches sont tordues et noueuses, grâce à cette difficulté d’exister ; le bois de ces arbres passe pour être plus dur que celui de ces beaux arbres venus en peu de temps dans une terre abondante, et dont les troncs droits et lisses semblent avoir crû sans peine.

La destinée de ma pauvre Jenny offre une fixité semblable (elle ne s’est jamais démentie), mais qui n’est guère en harmonie avec celle qu’eussent méritée ses vertus. Jamais plus noble et plus ferme nature ne fut mise à des épreuves plus cruelles. Que le ciel au moins lui donne maintenant des jours heureux et moins de cruelles souffrances pour le prix de cette noble misère supportée d’un front si serein et pour des motifs si généreux ! Est-ce que les lois morales n’auraient pas le privilège, comme les lois qui ne regardent que le physique, d’être invariables ?

23 août. — Je crois que c’est ce matin que j’ai été avec Jenny, à qui ces promenades font du bien, courir le long des falaises, du côté des bains ; c’est là que j’ai remarqué ces rochers à fleur d’eau et que j’ai eu beaucoup de plaisir à voir la marée les envahir.

Vers quatre heures, promenade du côté du Pollet avec Jenny. Nous sommes entrés dans la nouvelle église. Elle est complètement sur un modèle italien