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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

dans le volet du cheval, qui est au-dessus de tout.

Cela m’a grandi Géricault, qui avait cette force-là, et qui n’est en rien inférieur. Quoique d’une peinture moins savante dans l’Élévation en croix, il faut avouer que l’impression est peut-être plus gigantesque et plus élevée que dans les chefs-d’œuvre. Il était imbu d’ouvrages sublimes ; on ne peut pas dire qu’il imitait. Il avait ce don-là, avec les autres en lui. Quelle différence avec les Carrache ! En pensant à eux, on voit bien qu’il n’imitait pas ; il est toujours Rubens.

Cela me sera utile pour mon plafond[1]. J’avais ce sentiment quand j’ai commencé. Peut-être le devais-je aussi à d’autres ? La fréquentation de Michel-Ange a exalté et élevé successivement au-dessus d’eux-mêmes toutes les générations de peintres. Le grand style ne peut se passer du trait arrêté d’avance. En procédant par la demi-teinte, le contour vient le dernier : de là plus de réalité, mais plus de mollesse et peut-être moins de caractère.

Le soir, Braekeleer, qui m’avait dit qu’il lui serait impossible de me faire revoir les tableaux le lendemain, qu’il avait une partie, je ne sais quoi, est revenu, s’étant ravisé, je crois, sur ce que d’autres lui auront fait sentir que je méritais qu’on se dérange pour moi ; est revenu, dis-je, me chercher pour passer la soirée avec ses amis les artistes et me promettre qu’il me mènerait derechef le lendemain.

  1. Galerie d’Apollon.