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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tour de force que je regarde comme presque inutile à tenter. M. Ratisbonne écorche le français et les oreilles, et il ne rend ni l’esprit, ni l’harmonie, ni par conséquent le vrai sens de son poète. Il faut mettre cela avec les traductions de Viardot et autres qui font du français espagnol en traduisant Cervantes, comme on fait ailleurs du français anglais en traduisant Shakespeare.

5 août. — Que chaque talent original présente dans son cours les mêmes phases que l’art parcourt dans ses évolutions différentes, savoir : timidité et sécheresse au commencement, et largeur ou négligence des détails à la fin. — Le comte Palatiano[1] comparé à mes récentes peintures.

Loi singulière ! Ce qui se produit ici se produit en tout. Je serais conduit à inférer que chaque objet est en lui-même un monde complet. L’homme, a-t-on dit, est un petit monde. Non seulement il est dans son unité un tout complet, avec un ensemble de lois conformes à celles du grand tout, mais une partie même d’un objet est une espèce d’unité complète ; ainsi une branche détachée d’un arbre présente les conditions de l’arbre tout entier. C’est ainsi que le talent d’un homme isolé présente dans la suite de son développement les phases différentes que présente l’histoire de l’art dans lequel il s’exerce (ceci peut encore se rap-

  1. Delacroix fait ici allusion à une ancienne peinture de lui, datant de 1826 : le Portrait du comte Palatiano.