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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

militaire de monter un cheval dont les quatre pieds sont marqués de blanc : le fameux général Lassalle, qui avait la religion de ce préjugé, n’avait jamais voulu monter un pareil cheval. Le jour qui fut celui de sa mort, après plusieurs augures funestes, qui l’avaient frappé toute la matinée, miroir brisé, pipe cassée, portrait de sa femme brisé également, au moment où il allait la regarder pour la dernière fois, il monte sur un cheval qui n’était pas le sien, et sans prendre garde aux pieds de sa monture. Le cheval avait le funeste signe : c’est monté sur ce cheval qu’il reçoit, peu de moments après, le coup de feu dont il mourut au bout de quelques heures, qui lui fut tiré dans un moment où l’on ne se battait plus, par un Croate, je crois, qui se trouvait au nombre des prisonniers qu’on venait de faire après Wagram… Ces quatre pieds blancs sont, au contraire, une marque et un signe de considération chez les Orientaux, qui ne manquent pas de le mentionner dans les généalogies des chevaux ; j’en vois la preuve dans la pièce authentique certifiée par les anciens du pays qui accompagne l’envoi qu’Abd-el-Kader vient de faire à l’Empereur d’un certain nombre de chevaux de prix. — Je passe sur mille exemples de la sorte.

Combien d’hommes n’ont pas désiré, comme un refuge et comme un bien, cette mort qui est l’objet de l’épouvante universelle et le plus véritablement sans remède de tous les malheurs considérés comme un malheur, et quand même on la regarderait comme