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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vrais biens, il s’en éloigne toujours davantage : la tranquillité d’esprit, l’indépendance fondée sur des désirs modestes et facilement satisfaits, lui sont interdites. Son temps appartient à tout le monde ; il gaspille sa vie dans de sottes occupations. Pourvu qu’il se sente sous l’hermine et sous la moire, pourvu que le vent de la faveur le pousse et le soutienne, il dévore les ennuis d’une charge, il consume sa vie dans les paperasses, il la donne sans regret aux affaires de tout le monde. Être ministre, être président, situations scabreuses[1] qui ne compromettent pas seulement la tranquillité, mais la réputation, qui mettent un caractère à des épreuves difficiles, qui exposent an naufrage, au milieu d’écueils sans cesse renaissants, une conscience peu assurée d’elle-même.

Le plus grand nombre des hommes se compose de malheureux, qui sont privés des choses les plus nécessaires à la vie. La première de toutes les satisfactions serait pour eux la possibilité de se procurer ce qui leur manque ; le comble du bonheur, d’y joindre ce degré d’aisance et de superflu qui complète la jouissance des facultés physiques et morales.

21 juillet. — Dîné aujourd’hui avec Mme de Forget, qui part demain pour Ems. Mme Lavalette lui

  1. Delacroix écrivait en 1824 : « Quelles grâces ne dois-je pas au ciel de ne faire aucun de ces métiers de charlatan qui en imposent au genre humain ! Au moins je puis en rire ! »