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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le partage égal achève de dissoudre tous les liens qui unissent les membres d’une famille. Le lieu de la naissance, l’habitation paternelle est aliénée naturellement après la mort du père. On sacrifie, dira-t-on, à d’autres dieux ; le bien de l’humanité est devenu la passion de tous ceux qui ne peuvent vivre avec leurs frères issus du même sang dont ils sont formés. Il y a des entrepreneurs de charité qui nous évitent le souci de bien placer les offrandes que l’on adresse aux malheureux du monde entier qu’on soulage ainsi sans les connaître ni les rencontrer jamais. Ces philanthropes de profession sont tous gras et bien nourris : ils vivent heureux du bien qu’ils sont chargés de répandre. Heureux donc le siècle et tous ces bienfaiteurs qui croient avoir supprimé tous les maux, parce qu’ils en détournent la vue ; plus heureux les adroits dispensateurs de l’universelle charité qui ont résolu le problème de ne se priver de rien, en donnant à tout le monde.

— Chez Boissard à deux heures, pour entendre de la musique. Ils ne possèdent pas encore le Beethoven de la dernière époque.

Je demandais à Barbereau[1] s’il avait pénétré tout à fait les derniers quatuors : il me dit qu’il faut encore une loupe pour tout apercevoir, et peut-être faudra-t-il toujours la loupe. Le principal

  1. Barbereau, compositeur (1799-1879). Grand prix de Rome, il devint chef d’orchestre du Théâtre-Italien, et dirigea en 1854 et 1855 l’orchestre de la société de Sainte-Cécile.