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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le brave M. de X…, type de jeune mari d’aujourd’hui : il va tout seul en bateau, a sans cesse le cigare à la bouche et ne dit jamais un mot à sa femme ni à personne, si ce n’est pour contredire les timides observations de chacun. Il m’a redressé, avec une superbe aménité et plus d’une fois, sur l’Orient, sur le Maroc, où il a été. Il est possible qu’il connaisse l’Orient, mais il ne connaît pas les femmes : la sienne, qui est la fille de Mme de V…, est très piquante, aussi froide que lui, mais qui le fera probablement passer par des chemins qu’il ne connaît pas, malgré la multitude de ses excursions. Pendant que Batta et la princesse nous jouaient le soir des choses délicieuses, il découpait sans dire mot des morceaux de papier, et il ne s’est pas dérangé une minute de cette occupation.

Sonate de Beethoven entendue la veille, mais surtout une autre, dont je connaissais déjà la partie de piano. Très grand et très rare plaisir.

Au moment de passer à table, Berryer nous contait, à propos de la passion pour les éloges de Chateaubriand et en général des hommes de lettres, que se trouvant un jour chez Michaud[1], il voit arriver M. d’Arlincourt[2], qui venait de faire paraître un de ses fameux ouvrages et qui venait demander à Michaud d’en parler de manière à faire sentir au

  1. Joseph Michaud, dit Michaud aîné, littérateur, auteur de l’Histoire des Croisades, directeur de la Quotidienne et grand ami de Berryer.
  2. Vicomte d’Arlincourt, poète et romancier médiocre, né en 1789, mort en 1856.