Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le soir, nous nous sommes mis tous les quatre au coin du feu. Berryer nous contait qu’il était à la première représentation de la Vestale, avec des bottes à revers de soixante-douze francs : c’était alors le dernier goût. Ces malheureuses bottes étaient si étroites que, n’y pouvant tenir et ne goûtant pas du tout la musique, il demanda à des voisins un canif pour les fendre et se mettre à l’aise. Désaugiers était derrière lui ; il lui dit : « Monsieur, vous devez être content de votre cordonnier ; il vous sert (serre) bien. »

21 mai. — L’évêque d’Orléans arrivé l’après-midi, dans sa tournée pour la confirmation. Il est très bien, très distingué et homme d’esprit[1].

Le matin, ma première promenade, seul, par un beau soleil. Je me suis échappé par le pont de pierre, que j’ai atteint non sans avoir très chaud : je suis toujours vêtu très chaudement[2] maintenant, à cause de mon dernier mal de gorge. À ce pont de pierre,

  1. Mgr Dupanloup.
  2. « Delacroix, aimable, séduisant, d’une politesse exquise, sans aucune exigence, jouissait pleinement à Augerville d’une sorte de vacance qu’il s’accordait. Il se prêtait à toutes les distractions : très empressé aux promenades, à cette seule condition qu’il lui fût accordé le temps de se costumer. Irait-on en bateau, à pied, ou en voiture ? Aussitôt la décision prise, il s’éclipsait, puis reparaissait, ayant combiné ses vêtements pour affronter soit la mer de glace, le soleil du désert ou le vent de la montagne. Cette manœuvre nous divertissait, ayant découvert, par une de ces trahisons du séjour à la campagne, que sur son lit demeuraient étalés des gilets, des cache-nez, des coiffures, numérotés et correspondant aux degrés du thermomètre. Nous ignorions alors de quelle déplorable délicatesse de larynx il était affligé. »

    (Souvenirs de Mme Jaubert, p. 36.)