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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Elle contient des phrases comme celle-ci : « Plus un écrivain est abondant, plus il a de limon à déposer dans sa course… la pensée de l’homme ne jaillit pas au premier flot ni à tous les flots. Limpide, rapide, incorruptible, digne d’être envasée dans les urnes des siècles pour abreuver le genre humain, la pensée de l’homme le plus favorisé des dons du ciel est un torrent qui coule de plus ou moins haut en se creusant un lit plus ou moins profond dans la mémoire des hommes, etc., mais qui coule avec des écumes, des lies, des sables qu’il faut bien se garder de recueillir avec l’eau du ciel. »

Nous allons voir cette eau du ciel que distille M. de Lamartine dans ses bons jours. Si le style des morceaux qu’il choisit est dans le goût de ce qu’on vient de lire, on pourra trouver, comme il l’avoue lui-même, que le recueil est encore trop volumineux. N’est-il pas étrange qu’un auteur expose et confesse ainsi à tous les yeux qu’il est plein de ce limon, de ce sable dont il parle, qui n’atteste que la précipitation de la composition aussi bien que le mépris du bon public pour lequel il écrit ? Ainsi, dans le but de redonner sa marchandise sous autre forme, il fait lui-même le métier de critique sur ses propres livres, il prendra la peine de nous montrer tout ce qui est mauvais. Il va jusqu’à refaire des passages, il supprime la strophe, il innocente l’image, il corrige le mot. Il est probable que c’est là le dernier livre qu’il se propose de publier ; car qui voudra désor-