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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

porter, celui de son ménage et de sa maison à soutenir, et il n’y a plus chez lui une étincelle d’aspiration vers le plaisir de l’esprit ou de son métier ; — mais sa situation d’à présent m’éloigne de mes pensées de ce matin.

Je me disais qu’il y a dix ans maintenant que j’avais été pour la dernière fois à Frépillon[1] ; c’est vers le mois de mai 1844 environ, qu’après être revenu du dernier séjour que j’y avais fait, ce qui avait lieu ordinairement au printemps et à l’automne, je fus voir Mme His[2], qui demeurait à l’Arsenal, et j’y vis ma tante, qui venait déjà pour consulter, J’étais moi-même dans le quartier pour travailler à mon tableau de la rue Saint-Louis[3], que j’achevais. Jenny m’accompagnait. Je ne suis plus retourné depuis à Frépillon. Vers le mois d’août, ma tante est venue se constituer dans la maison de santé du faubourg Saint-Antoine, de laquelle je suis venu à bout de la persuader de se retirer.

En réfléchissant sur la fraîcheur des souvenirs, sur la couleur enchantée qu’ils revêtent dans un passé lointain, j’admirais ce travail involontaire de l’âme qui écarte et supprime, dans le ressouvenir de moments agréables, tout ce qui en diminuait le charme, au moment où on les traversait. Je comparais cette

  1. Delacroix, dans sa jeunesse, allait souvent à Frépillon, chez son oncle Riesener.
  2. Madame Charles His. (Voir suprà, t. I, p. 271.)
  3. Le Christ au jardin des Oliviers. (Voir Catalogue Robaut, no 176.)