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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

la fraîcheur du soir, les fenêtres ouvertes, et du chant diamanté du rossignol. S’il était possible de peindre ce chant à l’esprit, au moyen des yeux, je le comparerais à l’éclat que jettent les étoiles, par une belle nuit et à travers les arbres ; ces notes légères ou vives, ou flûtées ou pleines d’une énergie inconcevable dans ce petit gosier, me représentent ces feux, tantôt étincelants, tantôt un peu voilés, semés inégalement comme des diamants immortels dans la voûte profonde de la nuit. La réunion de ces deux émotions, qui est des plus fréquentes dans cette saison, le sentiment de la solitude et de la fraîcheur qui s’y joint, l’odeur des plantes et surtout des forêts qui semble le soir plus intense, sont pour l’âme un de ces festins spirituels auxquels l’imparfaite création la convie rarement.

28 avril. — Ma pensée se porte à mon réveil sur les moments si agréables et si doux à ma mémoire et à mon cœur que j’ai passés près de ma bonne tante[1] à la campagne. Je pense à elle, à Henry, à ce malheureux… que le ménage a perdu pour des sentiments comme ceux-là, si jamais il les a éprouvés, aussi bien qu’il en a fait un portefaix, au lieu d’un artiste. Je lui donne ce nom pour dire qu’il n’est plus adonné qu’à la matière, mais de la manière la plus triste ; il traîne véritablement le plus triste fardeau qu’il soit possible de

  1. Madame Riesener