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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

faîte de son édifice bigarré et dit son dernier mot, on ne voit que lacunes ou encombrement, et d’ordonnance nulle part. L’intérêt qu’on a porté à chaque objet s’évanouit dans la confusion ; ce qui semblait une exécution seulement précise et convenable devient la sécheresse même par l’absence générale de sacrifices. Demanderez-vous alors à cette réunion quasi fortuite de parties sans connexion nécessaire cette impression pénétrante et rapide, ce croquis primitif de cette idéale impression que l’artiste est censé avoir entrevu ou fixé dans le premier moment de l’inspiration ? Chez les grands artistes, ce croquis n’est pas un songe, un nuage confus ; il est autre chose qu’une réunion de linéaments à peine saisissables ; les grands artistes seuls partent d’un point fixe, et c’est à cette expression pure qu’il leur est si difficile de revenir dans l’exécution longue ou rapide de l’ouvrage. L’artiste médiocre occupé seulement du métier, y parviendra-t-il à l’aide de ces tours de force de détails qui égarent l’idée, loin de la mettre dans son jour ? Il est incroyable à quel point sont confus les premiers éléments de la composition chez le plus grand nombre des artistes… Comment s’inquiéteraient-ils beaucoup de revenir par l’exécution à cette idée qu’ils n’ont point eue[1] ?

24 avril. — Je professe avant tout ma prédilec-

  1. Sur l’insuffisance des spécialistes, ou plutôt sur l’opinion du maître touchant ce point, voir notre Étude, page xxvii.