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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

me disait S…, ainsi qu’Haydn, n’a pas mis la passion dans la symphonie. Ce dernier particulièrement, qui en a tant mis dans son théâtre, ne cherche dans la symphonie qu’une récréation pour l’oreille, récréation intelligente, bien entendu, mais point de ces élans sombres et violents qui sont presque tout Beethoven, lequel n’a jamais pu faire de théâtre[1].

8 avril. — L’homme heureux est celui qui a conquis son bonheur ou le moment de bonheur qu’il ressent actuellement. Le fameux progrès tend à supprimer l’effort entre le désir et son accomplissement : il doit rendre l’homme plus véritablement malheureux. L’homme s’habitue avec cette perspective d’un bonheur facile à atteindre : suppression de la distance, suppression de travail dans tout.

Après avoir supprimé l’espace, mis à bon marché toutes sortes de substances qui servent au luxe et au plaisir d’une génération amollie, il ne reste plus qu’à décider la terre à répandre d’une main plus libérale ses antiques dons, source de notre vie même. Il est plus difficile de régler le cours des saisons que de creuser des montagnes et d’aligner sur des espaces considérables des monceaux de fer, voie expéditive qui rapproche les lieux et ménage le temps. Des philanthropes ont bien imaginé que la mécanique suppléerait quelque jour au caprice du vent et aux

  1. Delacroix oubliait Fidelio.