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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

d’un pinceau. Ils ne connaissent d’un art que l’ornière dans laquelle ils se sont traînés, et les exemples que les écoles mettent en honneur. Jamais ils ne sont frappés des parties originales ; ils sont, au contraire, bien plus disposés à en médire ; en un mot, la partie intellectuelle, ce sentiment-là leur échappe complètement, et comme ils sont malheureusement les juges les plus nombreux, ils peuvent dérouter longtemps le goût public et de même retarder le vrai jugement qu’il faut porter sur les beaux ouvrages. De là, sans doute, cette condescendance des grands talents pour le goût étroit et mesquin qui est, en général, la régie des conservatoires et des ateliers. De là ce retour de moyens prétendus savants qui ne satisfont aucun besoin de l’âme, et qui, par la répétition de banalités convenues, déparent certains chefs-d’œuvre et les marquent promptement d’un cachet de décrépitude.

Les beaux ouvrages ne vieilliraient jamais s’ils n’étaient empreints que d’un sentiment vrai. Le langage des passions, les mouvements du cœur sont toujours les mêmes ; ce qui donne inévitablement ce cachet d’ancienneté, lequel finit quelquefois par effacer les plus grandes beautés, ce sont ces moyens d’effet à la portée de tout le monde, qui florissaient au moment où l’ouvrage a été composé ; ce sont certains ornements accessoires à l’idée et que la mode consacre, qui font ordinairement le succès de la plupart des ouvrages. Ceux qui, par un prodige bien rare, se sont passés de cet accessoire, n’ont été com-