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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

de la couleur locale, il m’arrive de penser qu’il en est trop épris. Dans les Huguenots, par exemple : la lourdeur croissante de son ouvrage, la bizarrerie des chants vient en grande partie de cette recherche outrée. Il veut être positif, tout en recherchant l’idéal ; il s’est brouillé avec les grâces en cherchant à paraître plus exact et plus savant. Le Prophète, que je ne me rappelle pas, ne l’ayant presque point entendu, doit être un pas nouveau dans cette route. Je n’en ai rien retenu. Dans Guillaume Tell, s’il l’eût composé, il eût voulu, dans le moindre duo, nous faire reconnaître des Suisses et des passions de Suisses. Rossini, lui, a peint à grands traits quelques paysages dans lesquels on sent, si l’on veut, l’air des montagnes, ou plutôt cette mélancolie qui saisit l’âme en présence des grands spectacles de la nature, et sur ce fond, il a jeté des hommes, des passions, la grâce et l’élégance partout. Racine a fait de même. Qu’importe qu’Achille soit Français ! Et qui a vu l’Achille grec ? Qui oserait, autrement qu’en grec, le faire parler comme Homère l’a fait ? « De quelle langue allez-vous vous servir ? demande Pancrace à Sganarelle. — Parbleu ! de celle que j’ai dans la bouche ! » On ne peut parler qu’avec la langue, mais aussi qu’avec l’esprit de son temps. Il faut être compris de ceux qui vous écoutent, et surtout il faut se comprendre soi-même. Faire l’Achille grec ! Eh, bon Dieu ! Homère lui-même l’a-t-il fait ? Il a fait un Achille pour les gens de son temps. Les hommes qui avaient