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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

meilleure. La partie sentimentale semblait se dégager et m’arrivait sur les ailes de la musique. Les anciens ont connu quelque chose d’analogue et l’ont mis en pratique : on dit d’un grand peintre de l’antiquité qu’en montrant ses tableaux il faisait entendre aux spectateurs une musique propre à les mettre dans une situation d’esprit conforme au sujet de la peinture ; ainsi il faisait sonner de la trompette, en montrant la figure d’un soldat armé, etc. Je me rappelle mon enthousiasme, lorsque je peignais à Saint-Denis du Saint-Sacrement et que j’entendais la musique des offices ; le dimanche était doublement un jour de fête ; je faisais toujours ce jour-là une bonne séance[1]. La meilleure tête de mon tableau du Dante a été faite avec une rapidité et un entrain extrêmes, pendant que Pierret me lisait un chant du Dante, que je connaissais déjà, mais auquel il prêtait, par l’accent, une énergie qui m’électrisa. Cette tête est celle de l’homme qui est en face, au fond, et qui cherche à grimper sur la barque, ayant passé son bras par-dessus le bord.

On parlait à table de la couleur locale. Meyerbeer disait avec raison qu’elle tient à un je ne sais quoi qui n’est point l’observation exacte des usages et des coutumes : « Qui en est plus plein que Schiller, a-t-il

  1. Il éprouva cette même émotion à l’église Saint-Sulpice, en peignant le dimanche, au son des orgues. Mais, comme on le verra plus loin, les autorités ecclésiastiques et administratives lui refusèrent l’autorisation de travailler le dimanche pendant les offices.